Habiter

Habiter

Présentation +
La performance Habiter s’appuie sur le texte du même nom : c’est un monologue porté par l’acteur Pierre Maillet, revisitant le genre de la conférence et intégrant autant de digressions philologiques en apparence fantasques, que d’illustrations documentaires empruntées à l’actualité récente ou à l’histoire de l’art. Dans cette conférence / performance, l’auteure et Pierre Maillet s’attachent à défaire une conception fixiste, normative et naturaliste de la dualité des genres (masculin/féminin) pour penser le caractère mutable et pluriel de l’identité, celle-ci devant s’entendre comme un processus performatif de construction et de déconstruction du moi. C’est en cela qu’on peut parler d’une conférence « queer ».

De la philosophie du nomadisme à la liberté de circulation

Outre la question de genre, c’est l’importance politique du nomadisme qui est au cœur de ce texte, où peu à peu sont dévoilés les liens qui existent entre le mode d’habitation, l’architecture, et l’identité sexuelle mutante. Habiter a une visée et une portée hétérotopique, c'est-à-dire une visée d’utopie réalisée. Dès la première phrase, un parallèle est développé entre l’émergence d’une identité queer au XXème siècle et le développement des architectures mobile. La nomadologie - science du nomade - aurait des répercussions effectives à la fois sur notre conception de l’identité personnelle et sur celle de l’habitat. Cet éloge du nomadisme s’avère être une défense subversive d’une identité nomade qui ouvre à la considération politique d’un monde sans frontières. La critique des défenseurs du « vieux monde » hétéro-patriarcal s’attaque aussi finalement à l’idéal capitaliste mensonger de la libre-circulation, dont seule la marchandise bénéficie, tandis que le droit fondamental des êtres humains à quitter leur État et à entrer dans un autre librement est injustement bafoué, au nom du maintien d’un ordre dominant. La promotion de l’identité nomade qui semblait d’abord être une hypothèse poétique fantaisiste apparaît soudain comme une conséquence logique ouvrant à la nécessité d’inventer un nouveau monde sans frontières et de s’ériger contre ses ennemis.

Une conférence queer

« Conférence Queer »... En effet Habiter s’inscrit dans ce courant queer qui constitue l’une des pensées révolutionnaires de la fin du XXème siècle. La pensée « queer », en réaction contre la pensée « straight », questionne la possibilité d’un troisième genre, problématise et politise le corps, ainsi que les rapports savoir-pouvoir. L’intérêt salvateur et subversif de cette pensée s’attache à décrire et à écrire comment les identités sexuelles se désagrègent et se cristallisent dans leurs rapports socio-politiques. Si le texte s’attaque à la conception binaire du genre, de manière plus générale, il critique l’hétéronormativité dominante et tente de déconstruire l’idéologie qui conduit à concevoir la sexuation à l’aune d’une différenciation sexuelle ancrée biologiquement et qui sert aussi souvent à justifier un monde conservateur et les rapports de domination et de stigmatisation qu’il implique. La performance s’appuie tout au long de la conférence sur un diaporama qui revisite les formes contemporaines de ces pensées et débats, notamment en 2013 lors des manifestations contre le Mariage pour Tous.

Habiter, un style argumentatif

Avec Habiter, il s’agit de toucher la jubilation, celle de penser librement, en donnant à expérimenter au spectateur·ices-auditeur·ices une relation nouvelle avec la découverte des idées et des liens logiques entre les idées. Le mode jubilatoire s’ancre dans l’expérience des glissements successifs d’une idée à une autre, grâce aux jeux homophoniques. La déduction s’opère sur un mode fou puisque la prémisse sur laquelle repose l’ensemble de l’argumentation est une fantaisie de jeux de langage. L’argumentation joue sur le vrai / faux et les glissements de significations ancrés dans les jeux de langage. Méthodologiquement, le texte démontre et interroge et a recourt aux procédés argumentatifs traditionnels, tels que la déduction, l’induction, et l’exemplification. Mais à la différence d’un texte philosophique académique, la prémisse des diverses conclusions ou implications est une fantaisie philologique relative à la pratique très française de l’étymologie en tant que mode opératoire de pensée ayant une valeur intrinsèque. Il en découle néanmoins des conclusions de plus en plus probables, s’appuyant sur des effets d’homophonie et des enchâssements de niveaux de significations de plus en plus tressés logiquement, si l’on admet que la logique peut délirer.

De l’anarchitecture à la philosophie du nomadisme

Patricia Allio a mené pendant longtemps des recherches sur les anarchitectures en Art Brut. Les artistes bruts anarchitectes subvertissent les modes d’habitation en réinventant les frontières entre l’intérieur et l’extérieur, en s’arrachant à l’habitat-maison. Un esprit d’insurrection et de liberté s’inscrit dans des constructions qui s’approchent de l’hétérotopie, c’est-à-dire des utopies effectivement réalisées. L’interrogation menée avec Habiter pense les liens entre inscriptions identitaires et relation à la mobilité ou sédentarité. Le parallèle investi consiste à subvertir nos catégories empreintes d’un certain statisme ou normativisme à l’égard de la maison, de la ville, en lien avec une certaine détermination et distribution des identités. Naturalisme et artificialisme sont discutés à l’aune de la remise en question de la version duelle des genres. L’approche binaire et normative de la nécessaire différenciation sexuelle est rapportée à des modes d’habitation spécifiques, à une certaine conception fixiste et stable de l’habitat, à rebours de la philosophie du nomadisme qui invite au décloisonnement. Dans une veine néo-situationniste, Habiter veut entraîner la pensée à la considération positive de la mobilité. Mais au vue des politique néo-fascistes menées depuis une quinzaine d’année, et plus violemment les trois dernières années, par les états démocratiques européens, la réflexion sur le nomadisme prend une inflexion et une dimension toute nouvelle.
Générique +
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Presse +
Diffusion +
Habiter a été créé le 11 décembre 2007 au Théâtre des Deux Rives à Rouen, dans le cadre du Festival Corps de Textes, dans une mise en scène de Patricia Allio avec Pierre Maillet, jouée en portugais au Théâtre Campo Alegre de Porto en février 2008 et en italien à Milan en avril 2008 au Festival Danaé. Le texte a été édité en français et en portugais aux Editions Christophe chômant en 2008. Il a été revu et le spectacle repris et recréé au Festival Terre de Parole à Rouen le 14 avril 2018.